Prise dans l'avalanche : récit.
7 Mars 2008 : Accompagnée de deux skieurs, je bifurque de l'itinéraire du Gleysin vers Comberousse...
J'avance, à vrai dire sans soucis particuliers. Cela ne me semble pas plaqué, et pourtant... Un craquement et je m'arrête net. Presque léger mais pourtant tellement significatif ; jamais je n'en ai entendu un de ce style.
Le temps d'une seconde pour me dire qu'il faut que je recule avec douceur. Le temps d'une seconde pour lever la tête et voir la pente se fissurer juste là. Le temps d'une seconde pour faire une conversion à la va-vite et tenter de rejoindre mes compagnons en disant "Putain ça part !". Et à peine le temps d'une seconde pour me faire emporter.
Tellement puissante qu'on ne peut rien faire. Je me retrouve sur le dos tête en bas, je m'entends légèrement crier, et là c'est une véritable bataille pour moi : je suffoque avec toute cette neige qui tombe sur mon visage, j'agite mes bras au-dessus de moi dans tous les sens, comme quelqu'un qui se noit. Je crois que je vais m'étouffer si ça ne s'arrête pas. Pendant un court instant, c'est un grondement sourd puis je n'entends ni ne voit plus rien : je crois que je m'ensevelis.
C'est très étrange comme sensation : je me souviens encore, l'impression que le temps s'arrête avec le grondement de l'avalanche qui s'étouffe, et ce silence... Mon corps se relache, empli d'une inhabituelle sérénité, car consciente que je m'ensevelis, je me dis que tout est fini et que rien ne sert de se débattre, il suffit d'attendre et de se calmer. Combien de temps ça a duré ? Quelques secondes peut-être.
Puis tout s'arrête. A travers la neige recouvrant mes lunettes, je vois un bout de ciel. Je suis essouflée, mais je peux respirer ! Quel miracle, je suis restée en surface... Le bras droit levé vers le ciel, je peux le bouger et fait des gestes pour qu'on me voit. Tout le reste de mon corps est bloqué. Je tente de me calmer et de reprendre ma respiration. Je n'entends pas un bruit. Et si ils s'étaient fait prendre aussi ? Il faudrait que j'essaye de sortir... Mais le moindre geste et de la neige tombe sur mon visage, me faisant à nouveau suffoquer.
J'entends des voies, je les aperçois soudain au-dessus de moi, Manu et notre compagnon skieur, et le groupe qui montait derrière nous. Ils me sortent de là rapidement, s'assurent que tout va bien pour moi, m'enlève la neige, vont chercher mon bonnet plus bas, sortent mon sac ; les sourires sont sur les regards, tout le monde est soulagé que tout aille bien. On arrive même à sortir quelques débilités bien tournées.
Je regarde derrière moi et je vois nos traces venant du Morétan, juste là. Mais où suis-je ? Je lève la tête et je demande : "Mais... J'étais où ?". "Là-haut". J'en reviens pas. J'ai dévalé 200m de dénivelé avec l'avalanche. Je croyais avoir fait à peine la moitié !
Je vais bien mais je ne cesse de regarder là-haut en me disant "Putain, c'est pas possible, j'ai descendu tout ça, je suis vivante, sans rien du tout, pas le moindre bleu, pas ensevelie alors que la quantité est impressionante !... ça y est, c'est arrivé."
Et il faut bien avouer quelque chose : l'expression bien connue de "se faire dessus" a bien son origine quelque part... Oui, je me suis pissée dessus durant l'avalanche. Quelle importance, dans ces moments-là on ne contrôle rien.
Retour au refuge de l'Oule pour une petit thé avant de redescendre, très tendue après cette mésaventure...
La plaque
A vue d'oeil, la plaque s'est fissurée sur 60cm d'épaisseur, avec une largeur de 30, 40, 50 mètres ? Je ne saurais dire. Elle a glissé sur au moins 200m de dénivelé. Je me dis que tout s'est bien passé, mais que ça aurait pu mal finir. J'ai du mal à prendre conscience de l'ampleur de la chose. Les commentaires que j'ai lu et entendu m'éclairent un peu plus sur l'importance de la plaque.
Je reviendrais en été, voir si le bâton que j'ai perdu n'est pas dans le coin.
Vue d'en haut, on voit bien la cassure (photo Geom).
Avec le recul... Réflexion et analyse
Le matin, nous avons décidé d'aller au col de Morétan, seul endroit qui nous paraissait "safe" et un peu protégé du vent, très fort ce matin-là. Aucune autre pente ne me tentait. Le temps de faire le col du Morétan, et du monde était arrivé : un groupe au col des Portes de l'Eglise, un sous le col du Gleysin, d'autres au Morétan. Je me remet en question face à l'atitude des skieurs qui n'ont pas l'air de se poser trop de questions : est-ce que je ne psychote pas trop ? Le vent se calme, il y a plus de monde dans le coin, un skieur continue la journée avec nous. Tout pour rassurer et rendre la montagne moins hostile.
Nous décidons de repeauter pour prendre la trace qui monte au Gleysin. Entre temps, dans un excès de confiance, nous nous disons "Bah, pourquoi pas Comberousse ? Il n'y a que ce ressaut après la pente est bien plus douce." Au détour d'une conversion, je suis d'avis de traverser là pour rejoindre le vallon plus doux, mais Manu est plus dans l'optique d'utiliser la trace au maximum pour moins se fatiguer. C'est d'accord. On discute, on prend les décisions à deux. Sauf que la traversée se fait sous une crête en plein vent, configuration que l'on ne voit pas sur place. A première vue, ce n'est pas plaqué, la cohésion semble régulière même si la quantité de neige n'est pas des moindres.
Quelle erreur ! Je me demande maintenant comment j'ai pu passé à cet endroit ! Vue d'en bas, c'était tellement évident ! Je saurais maintenant ne pas me laisser influencer par les décisions et la présence d'autres skieurs dans le coin, mais rester sur ma première impression. Ne pas se laisser rassurer et garder son propre point de vue. Rester lucide et dans l'optique "mieux vaut prévenir que guérir".
Le Week End est passé, cela ne m'a pas empêché de sortir en rando, mais je suis très tendue et crispée ; c'est fatiguant. Parfois je craque de cette tension que je n'arrive pas à relacher, et je pleure, simplement. Je m'essoufle vite dans les pentes qui me font peur, même si il n'y a pas de raisons. A la descente, tout va bien, c'est à la montée que ça ne va pas trop. Le moindre avion qui passe, la moindre boulette de neige qui descend, le moindre petit bruit et j'ai une petite montée d'adrénaline. Souvent ce craquement vient me hanter, cette fissure... J'essaye de me raisonner, mais ce n'est pas toujours facile.
En tout cas, j'ai appris deux choses :
- Ne pas s'essoufler à la montée... C'est pas si mal quand je vois la galère pour tenter de respirer dans l'avalanche, j'ai du mal à imaginer comment j'aurais fait si j'avais eu le souffle court à cet instant là.
- Compter le nombre de skieurs qui montent derrière. Etant donné que la coulée bifurquait légèrement, Manu n'a pas pu voir si quelqu'un d'autre s'était fait prendre.
Beaucoup de questions trottent aussi dans ma tête : est-ce le surf sur mon dos qui m'a aidée à rester en surface ? Si on était passé plus bas, la plaque serait-elle partie ?
J'aurais encore beaucoup de choses à dire, et certainement encore plus après, mais je vais m'arrêter là, c'est déjà pas mal...
Merci.
Récit de Manu
CR d'un skieur qui était dans le coin
Vue d'en bas. On se sent tout petit...
J'avance, à vrai dire sans soucis particuliers. Cela ne me semble pas plaqué, et pourtant... Un craquement et je m'arrête net. Presque léger mais pourtant tellement significatif ; jamais je n'en ai entendu un de ce style.
Le temps d'une seconde pour me dire qu'il faut que je recule avec douceur. Le temps d'une seconde pour lever la tête et voir la pente se fissurer juste là. Le temps d'une seconde pour faire une conversion à la va-vite et tenter de rejoindre mes compagnons en disant "Putain ça part !". Et à peine le temps d'une seconde pour me faire emporter.
Tellement puissante qu'on ne peut rien faire. Je me retrouve sur le dos tête en bas, je m'entends légèrement crier, et là c'est une véritable bataille pour moi : je suffoque avec toute cette neige qui tombe sur mon visage, j'agite mes bras au-dessus de moi dans tous les sens, comme quelqu'un qui se noit. Je crois que je vais m'étouffer si ça ne s'arrête pas. Pendant un court instant, c'est un grondement sourd puis je n'entends ni ne voit plus rien : je crois que je m'ensevelis.
C'est très étrange comme sensation : je me souviens encore, l'impression que le temps s'arrête avec le grondement de l'avalanche qui s'étouffe, et ce silence... Mon corps se relache, empli d'une inhabituelle sérénité, car consciente que je m'ensevelis, je me dis que tout est fini et que rien ne sert de se débattre, il suffit d'attendre et de se calmer. Combien de temps ça a duré ? Quelques secondes peut-être.
Puis tout s'arrête. A travers la neige recouvrant mes lunettes, je vois un bout de ciel. Je suis essouflée, mais je peux respirer ! Quel miracle, je suis restée en surface... Le bras droit levé vers le ciel, je peux le bouger et fait des gestes pour qu'on me voit. Tout le reste de mon corps est bloqué. Je tente de me calmer et de reprendre ma respiration. Je n'entends pas un bruit. Et si ils s'étaient fait prendre aussi ? Il faudrait que j'essaye de sortir... Mais le moindre geste et de la neige tombe sur mon visage, me faisant à nouveau suffoquer.
J'entends des voies, je les aperçois soudain au-dessus de moi, Manu et notre compagnon skieur, et le groupe qui montait derrière nous. Ils me sortent de là rapidement, s'assurent que tout va bien pour moi, m'enlève la neige, vont chercher mon bonnet plus bas, sortent mon sac ; les sourires sont sur les regards, tout le monde est soulagé que tout aille bien. On arrive même à sortir quelques débilités bien tournées.
Je regarde derrière moi et je vois nos traces venant du Morétan, juste là. Mais où suis-je ? Je lève la tête et je demande : "Mais... J'étais où ?". "Là-haut". J'en reviens pas. J'ai dévalé 200m de dénivelé avec l'avalanche. Je croyais avoir fait à peine la moitié !
Je vais bien mais je ne cesse de regarder là-haut en me disant "Putain, c'est pas possible, j'ai descendu tout ça, je suis vivante, sans rien du tout, pas le moindre bleu, pas ensevelie alors que la quantité est impressionante !... ça y est, c'est arrivé."
Et il faut bien avouer quelque chose : l'expression bien connue de "se faire dessus" a bien son origine quelque part... Oui, je me suis pissée dessus durant l'avalanche. Quelle importance, dans ces moments-là on ne contrôle rien.
Retour au refuge de l'Oule pour une petit thé avant de redescendre, très tendue après cette mésaventure...
La plaque
A vue d'oeil, la plaque s'est fissurée sur 60cm d'épaisseur, avec une largeur de 30, 40, 50 mètres ? Je ne saurais dire. Elle a glissé sur au moins 200m de dénivelé. Je me dis que tout s'est bien passé, mais que ça aurait pu mal finir. J'ai du mal à prendre conscience de l'ampleur de la chose. Les commentaires que j'ai lu et entendu m'éclairent un peu plus sur l'importance de la plaque.
Je reviendrais en été, voir si le bâton que j'ai perdu n'est pas dans le coin.
Vue d'en haut, on voit bien la cassure (photo Geom).
Avec le recul... Réflexion et analyse
Le matin, nous avons décidé d'aller au col de Morétan, seul endroit qui nous paraissait "safe" et un peu protégé du vent, très fort ce matin-là. Aucune autre pente ne me tentait. Le temps de faire le col du Morétan, et du monde était arrivé : un groupe au col des Portes de l'Eglise, un sous le col du Gleysin, d'autres au Morétan. Je me remet en question face à l'atitude des skieurs qui n'ont pas l'air de se poser trop de questions : est-ce que je ne psychote pas trop ? Le vent se calme, il y a plus de monde dans le coin, un skieur continue la journée avec nous. Tout pour rassurer et rendre la montagne moins hostile.
Nous décidons de repeauter pour prendre la trace qui monte au Gleysin. Entre temps, dans un excès de confiance, nous nous disons "Bah, pourquoi pas Comberousse ? Il n'y a que ce ressaut après la pente est bien plus douce." Au détour d'une conversion, je suis d'avis de traverser là pour rejoindre le vallon plus doux, mais Manu est plus dans l'optique d'utiliser la trace au maximum pour moins se fatiguer. C'est d'accord. On discute, on prend les décisions à deux. Sauf que la traversée se fait sous une crête en plein vent, configuration que l'on ne voit pas sur place. A première vue, ce n'est pas plaqué, la cohésion semble régulière même si la quantité de neige n'est pas des moindres.
Quelle erreur ! Je me demande maintenant comment j'ai pu passé à cet endroit ! Vue d'en bas, c'était tellement évident ! Je saurais maintenant ne pas me laisser influencer par les décisions et la présence d'autres skieurs dans le coin, mais rester sur ma première impression. Ne pas se laisser rassurer et garder son propre point de vue. Rester lucide et dans l'optique "mieux vaut prévenir que guérir".
Le Week End est passé, cela ne m'a pas empêché de sortir en rando, mais je suis très tendue et crispée ; c'est fatiguant. Parfois je craque de cette tension que je n'arrive pas à relacher, et je pleure, simplement. Je m'essoufle vite dans les pentes qui me font peur, même si il n'y a pas de raisons. A la descente, tout va bien, c'est à la montée que ça ne va pas trop. Le moindre avion qui passe, la moindre boulette de neige qui descend, le moindre petit bruit et j'ai une petite montée d'adrénaline. Souvent ce craquement vient me hanter, cette fissure... J'essaye de me raisonner, mais ce n'est pas toujours facile.
En tout cas, j'ai appris deux choses :
- Ne pas s'essoufler à la montée... C'est pas si mal quand je vois la galère pour tenter de respirer dans l'avalanche, j'ai du mal à imaginer comment j'aurais fait si j'avais eu le souffle court à cet instant là.
- Compter le nombre de skieurs qui montent derrière. Etant donné que la coulée bifurquait légèrement, Manu n'a pas pu voir si quelqu'un d'autre s'était fait prendre.
Beaucoup de questions trottent aussi dans ma tête : est-ce le surf sur mon dos qui m'a aidée à rester en surface ? Si on était passé plus bas, la plaque serait-elle partie ?
J'aurais encore beaucoup de choses à dire, et certainement encore plus après, mais je vais m'arrêter là, c'est déjà pas mal...
Merci.
Récit de Manu
CR d'un skieur qui était dans le coin
Vue d'en bas. On se sent tout petit...